lundi 26 mars 2012

Anne Fakhouri sur le grill !

C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai échangé ces quelques mots avec Anne Fakhouri, une auteure dont il faut retenir le nom.

Disponible et agréable, Anne est une personne qui vaut le détour, tout comme ses livres. Sans plus tarder, découvrons-la ensemble !


 
Salut Anne ! Je suis ravie de t’accueillir et je te souhaite la bienvenue en ces lieux ! Mets-toi à l’aise et parlons un peu de l’auteure que tu es !

          Eh bien, chère Anne, qui es-tu ?

Anne Fakhouri, prof, écrivain. D’origine franco-libanaise. Lectrice depuis toujours, à l’écoute de toute histoire qu’on voulait bien me raconter, facilement rêveuse, souvent soupe-au-lait. Le genre d’élève qui avait « peut mieux faire » à côté de « grande sensibilité » sur ses bulletins. Et aussi « les cours de gym sont obligatoires ». Toujours un livre à la main et terriblement maladroite – et ça n’a jamais changé. Mère de deux filles un rien toniques et femme d’un mousquetaire. Ménagère médiocre, bonne cuisinière.
Auteur de trois livres : le Clairvoyage, la Brume des jours (jeunesse) et Narcogenèse (thriller fantastique – adultes) parus chez l'Atalante (ndlr : voir photos en bas). 

       J’ai eu l’occasion de te rencontrer pour la première fois aux Imaginales.  Un petit mot gentil, une parole, tu cherches à savoir qui est ton interlocuteur. La relation avec le public est-elle un élément important pour toi ?

La relation avec les gens, oui, bien que je sois une ourse, au fond ! Pas spécialement le public, je ne supporte pas le côté camelot marketing de certains auteurs. Les occasions de partager autour des livres – les miens, les autres – sont assez rares pour ne pas en profiter.



Ton roman Narcogenèse relate les aventures de Simon et Louise et introduit les peurs enfantines ainsi que les notions d’abandon et d’infanticide. Pourquoi avoir abordé cette thématique ?

En fait, la famille est au centre du roman et de mes problématiques. La famille dont on vient, celle qu’on crée, celle qu’on perd. J’avais envie d’aborder le thème de la maternité en général, parce que le manichéisme actuel m’ébahit. On n’est encore dans la sanctification de la mère. Quand j’ai réfléchi à ce roman, on était même en plein naturalisme. La mère qui s’oublie, qui est au centre de tout… La culpabilité par excellence ! J’avais envie de montrer des mères, différentes et des femmes fortes, aussi. Et puis, la question du déni de grossesse m’a interpelée, après l’affaire Courjault. J’ai eu pas mal de documentation par un ami psychiatre, j’étais enceinte quand j’ai commencé à travailler sur le roman. J’y ai sans doute mis mes peurs aussi. La naissance, la mort… Ces enfants qui n’ont jamais existé dans la tête de leur mère, qui n’ont pas eu de nom, pas de tombe, où vont-ils ? Où vont les esprits d’enfants que personne ne pleure, que personne n’entend ? De cette question est née l’intrigue fantastique. J’avais aussi envie de parler des blessures d’enfance, des choix, de la place dans une famille. 


     C’est un fameux contre-pieds à la culture d’aujourd’hui et aux oppositions qui alimentent les débats sur ce qu’est une bonne mère ou non. C’est finalement une problématique tout à fait actuelle et lourde de sens.  Sans pour autant entrer dans les discussions politiques ou philosophiques, tu n’as pas eu peur d’aller justement à contre-sens de qu’on peut lire dans les médias, de dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas ?  Notamment, par rapport au déni de grossesse, qui est une thématique relativement taboue dans notre société.

Je dis par écrit ce que quelques personnes disent, tout simplement. Elisabeth Badinter l’a fait plus nettement et intelligemment que moi dans « le conflit : la mère et la femme ». Narcogenèse ne développe pas d’argumentaire ; le thème est en petites touches mais bien présent. Le tabou familial est partout, et spécialement autour de la mère. Avec un paradoxe incroyable. Quand j’étais enceinte de ma première fille, j’ai été assez étonnée que mon ventre devienne une espèce de sujet public. Chacun avait un avis, un conseil. Sans parler du fait qu’on se met à te toucher soudain. Comme si la distance sociale n’existait pas pour la femme enceinte. Son corps ne lui appartient plus et on la juge. 
A côté de ça, personne ne dit rien : comme l’accouchement véhicule des peurs atroces, comme c’est difficile de s’occuper d’un bébé, comme on sent soudain nulle et très importante. Au lieu de faire des préparations à l’accouchement, qui se ressemblent toutes, on devrait commencer par dire la vérité : oui, l’accouchement fait mal, oui, on oublie tout quand on voit son bébé, oui, il faut se préserver et accepter de ne pas être toute puissante… Mais on n’entend que les gens organisés. Certains en ont fait leur commerce et en profitent pour endoctriner, car l’endoctrinement vient combler des peurs. A la naissance de ma fille aînée, on était en plein naturalisme. Il fallait accoucher naturellement, allaiter, cododoter, sinon on n’était pas une bonne mère. Mais le rôle de mère va bien plus loin que ça, nous le savons. Ce sont ces milliers de gestes, ces heures, ces doutes… 
Et puis le combat pour garder un couple qui nous convienne, pour rester une femme indépendante. Ce n’est pas seulement une question d’allaitement (cette obsession  provient tout de même d’une association intégriste catholique !), ni de langes lavables. Il y a une part de viscéral, une part d’intellectuel, une part de culturel et social.  Et ce sont nos erreurs qui nous font mères.
Si on mettait moins la pression aux femmes, il y aurait des enfants nettement plus heureux. Si on informait plus, déjà…

Quant au déni de grossesse, il commence à ne plus être tabou. Ce qui est tabou, encore, c’est la mère. Qui sait que la loi s’est endurcie en cas d’infanticide depuis l’apparition d’une vraie contraception ? C’est aberrant ! Comme si le fait de prendre la pilule réglait les dysfonctionnements psychiques !
Dans l’affaire Courjault, ce qui a le plus saisi les gens et les médias, c’est que c’était une femme parfaite, un couple qui gagnait bien sa vie, élevait correctement ses enfants. Chamboulement total ! Même les journalistes qui tentaient de l’humaniser la faisaient passer pour un monstre. On est au-delà de l’idée de monstruosité. Ce genre de trouble psychiatrique est la preuve que la maternité est quelque chose de compliqué, avec des parts d’ombre. Ce qu’elle disait durant son procès était terrible : elle n’avait pas tué ces enfants parce qu’ils n’avaient jamais existé. Ca ramène à un sentiment très obscur de la grossesse. On « attend » un enfant. Mais qui ? Cet enfant existe dans notre esprit, sans être réel. La maternité commence par un fantasme. Et les pulsions de mort qui vont avec. 

Les mères, quand on les autorise à le faire, disent des paroles terrifiantes et libératrices. Oui, parfois, on jetterait son bébé par la fenêtre, tellement on est fatiguée, démunie. On se voit faire le geste. La différence avec une mère infanticide, c’est le passage à l’acte, donc le dérèglement. Accompagner les mères, au lieu de les juger et de leur donner un modèle de perfection, est essentiel. Et accompagner les mères, ça veut dire les écouter, suivre leur parcours. Pas les calquer les unes sur les autres selon les modes…
Alors, oui, peut-être vais-je à contresens de ce que disent les médias (même si le discours s’est un peu assoupli), de ce que disent les naturalistes, mais c’est un combat qui me semble important pour ne pas régresser !
 

     Narcogenèse est justement sélectionné au Grand Prix de l’Imaginaire qui se déroulera en mai à Saint-Malo. Comment vis-tu cette étape ? Est-ce une certaine forme de reconnaissance du travail accompli ?

J’ai déjà vécu cette étape avec le Clairvoyage et j’ai eu le Grand Prix de l’Imaginaire face à Neil Gaiman. Je peux ne plus jamais avoir un prix, après ça, je crois… (Non, je déconne, donnez- le moi !). Sans rire, évidemment, je suis très contente de cette reconnaissance-là, de celle des lecteurs aussi !


        En parlant des lecteurs, comment gères-tu les retours qui sont faits sur tes écrits ?

Je ne suis pas le genre de fille qui « gère » !  Certains avis font très plaisir, d’autres perturbent. J’ai toujours essayé d’avoir un maximum de recul vis-à-vis des retours, qu’ils proviennent de lecteurs, de chroniqueurs ou de critiques. Ils divergent parfois de façon schizophrénique ! En revanche, je prends en compte ce qui revient souvent dans différents avis.

De visu, c’est différent. Je parle très peu de ce que j’écris sans qu’on me le demande, je suis donc assez étonnée qu’on m’en parle. Mais j’adore quand un lecteur a vu quelque chose que je n’avais pas obligatoirement décelé ou qu’il s’est approprié un personnage. Récemment, un lecteur est venu me faire une analyse complète de Saul, un des personnages de Narcogenèse. C’était fin, argumenté, pertinent. Comme j’ai beaucoup travaillé ce personnage, j’étais ravie. 

Dans l’ensemble, je trouve les lecteurs bienveillants, ouverts et sympas, quand je les rencontre. Parfois, ils n’osent pas me parler et sont étonnés que, comme tu le disais, je m’intéresse à eux. Ca me laisse perplexe. Autant je ne crois pas au fameux « lecteur » (sans visage, censé être représentatif de la masse, donc de la vente ?) dont pas mal de gens parlent, autant j’aime développer un vrai dialogue avec ceux qui ont pris la peine de me lire et ont aimé.
C’est pour eux que j’écris et surtout, je pense que le lien auteur-lecteur est quelque chose de très intime. Ça aide !


      Tu t’es également essayé il y a peu au space op’ avec ta nouvelle intitulée Sleeping beauty pour l’anthologie Zone Franche « Destination Univers » parue chez Griffe d'Encre. Alors, heureuse ? 

Ouaip ! J’ai écrit de la science-fiction ! Avec des vaisseaux ! Je me suis franchement amusée. Ca me console de ne pas avoir eu le génie de créer le personnage de Bill Adama (ndlr : voir Battlestar Galactica) !  


          Écrire une nouvelle ou un roman n’est pas du tout la même chose. Comment travailles-tu ?  Quelle est ta recette miracle ?

Je travaille un peu partout, déjà, mais essentiellement au bistrot, depuis que j’ai dû céder mon bureau à un mari redevenu étudiant. Le jour, la nuit (moins maintenant, j’ai réglé mes problèmes d’insomnie), quand j’ai le temps, comme beaucoup d’écrivains qui ont un autre métier et des enfants en bas-âge (et qui sont des femmes. Oui.). Pour les romans, je travaille en plusieurs étapes : l’idée, les notes, la rédaction. Je n’ai pas vraiment d’horaires, parce que la routine m’ennuie, surtout dans l’écriture et que je passe beaucoup de temps à rêver et à débloquer des intrigues. Le meilleur moment : le matin très tôt, vers six heures, je rêvasse dans mon lit, et tout devient limpide. Je laisse beaucoup reposer mes romans aussi (quand je peux). Et je prends le temps de vivre. Parce qu’écrivain, c’est un savoir-faire, évidemment mais c’est aussi un savoir-être. J’ai terriblement besoin de rêver, d’avoir des émotions, d’observer. J’écoute aussi les gens, je chope des expressions, des histoires. Je crois que l’écriture vient de mon incompréhension des êtres humains, j’ai donc une forte tendance à la documentation du quotidien. En ce moment, j’essaie de travailler la correction finale. Comme je retravaille beaucoup au fur et à mesure, j’ai toujours du mal à corriger la dernière version. Je le fais, évidemment, mais pas comme je le voudrais... Je finis par ne plus pouvoir voir un roman en peinture, à force… Mais je règle le problème en ce moment, je crois.

 Sinon, je me concentre sur un ou deux points par roman, pour tenter d’améliorer un défaut ou une faiblesse à chaque fois. Sur celui en cours, je bosse franchement l’efficacité du style. Sur Narcogenèse, j’ai tenté de travailler l’intrigue et les personnages « ciselés ». 

Pour les nouvelles, je suis bien plus terre-à-terre : il y a un minimum de signes ! J’applique ma technique du « on verra plus tard ». J’écris les paragraphes clés, puis je reviens sur les transitions qui se résument dans le premier jet par des « Ici, il va au château », « décrire la salle » et autres phrases lapidaires… Bref, je fais un puzzle. Mais j’écris peu de nouvelles.
J’échange beaucoup avec des amis écrivains qui me relisent depuis que je suis publiée et avec qui je parle technique. Et avec mes éditeurs, évidemment. Mais j’ai beaucoup travaillé seule. Le Clairvoyage a été mon premier roman présenté et publié. Avant, j’ai écrit de tout et tout le temps, sans rien envoyer. Ce n’était pas au point. Et ce n’était pas grave. J’ai toujours eu l’intime conviction que j’écrirais toute ma vie. C’est ma forme de communication. 

Pour mon prochain roman, j’ai des bêta-lecteurs : mes élèves de l’atelier d’écriture ! Ils ont entre douze et quinze ans, donc l’âge de mes lecteurs potentiels. Ils m’apportent beaucoup. Ils pointent les passages obscurs et l’un d’eux, mon meilleur élève, a même enrichi certaines scènes de détails très intéressants. Ce sont de purs lecteurs, donc ils n’ont pas tendance à « réécrire » ou à analyser. Ils me disent juste si ça marche ou pas. De toute façon, je le vois bien, quand ils demandent : « la suite ! ». 

Je crois savoir que tu as une vie bien remplie et que, notamment, tu es prof.  Pourrais-tu faire de l’écriture ta seule activité ? Pourquoi ?
           
Je n’en sais rien. J’aime bien mon métier de prof. Écrire à plein temps risquerait de me rendre encore plus ourse et j’en ai un peu peur. Et puis écrire pour la jeunesse demande de rester proche des gamins, aussi. Les deux métiers se nourrissent. 

Tu travailles sur un nouveau projet en ce moment ? Peut- on en savoir plus ?
           
J’écris un thriller ésotérique pour Rageot. Parallèlement, je réécris mon roman jeunesse pour l’Atalante, parce que nous sommes d’accord pour dire, mon directeur de collection et moi, qu’il y a une partie émotionnelle à développer. Quand j’ai le temps, j’écris un chapitre d’un roman de « blanche », d’un roman de fantasy et des bribes de space op’.

              
      Y-a-t-il un domaine de la littérature SFFF que tu n’as pas encore essayé et qui te tenterait ?

La hard-science. Mais personne ne veut de ce projet. Pourtant, mon idée de faire un roman à partir de la posologie du Doliprane était du pur génie. Le monde n’est pas prêt… Plus sérieusement, non, pas pour l’instant. Ou peut-être de la fantasy urbaine, façon Esther Friesner.


          Quels sont tes sources d’inspiration ? Qu’est-ce qui donne vie à ce qui se bouscule dans ta tête ?

 Les gens autour de moi, des morceaux d’histoires, d’Histoire ou des faits divers. Les émotions qu’ils véhiculent, mes peurs d’enfant, actuelles, ce que j’ai lu ou vu. Après, ce qui donne vie, vraiment, c’est la conviction profonde que je dois parler d’un sujet à un moment précis, qu’un personnage a pris corps, qu’un lieu doit être aménagé. Je suis mes intuitions et leur donne de la forme.

 
       Pour conclure, Anne, si tu avais en face de toi de jeunes auteurs en devenir ou qui se lancent, que leur dirais-tu ?

Lisez, vivez, rêvez. Le travail, c’est une donnée essentielle, mais comme dans tous les domaines. La « petite musique » vient d’autre chose, d’une oreille toujours à l’affût, d’une main plus souple. Je suis ébahie par la technicité ambiante. On ne devient pas écrivain simplement parce qu’on se sert d’outils au moment où on décide d’écrire. L’oreille doit se former, l’œil aussi, en permanence. Lisez autre chose que de la SFFF, le plus possible. Il y a des codes universels dont on ne peut pas se passer ! Après, oui, il faut travailler ses textes. Mais après seulement. Écrivez le plus possible, pour la musique des mots aussi. Et ne pensez pas à la publication à tout prix, ça bloque plus qu’autre chose ! Et pour finir, parlez de ce que vous écrivez, écoutez les autres, échangez autour des techniques, trouvez celles qui vous conviennent, sans les laisser prendre le dessus sur votre vraie voix !

        Un grand merci d’avoir répondu à mes questions, Anne et bonne continuation !

Merci à toi !





6 commentaires:

  1. Chapeau Earane pour cet interview. On découvre Anne passionnément avec toute sa sensibilité.
    Et un désir de mieux connaître ce qu'elle écrit.

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    1. Je suis contente que cela t'ait plus, Patrice. J'ai pris beaucoup de plaisir à "échanger" avec Anne virtuellement, en attendant de la revoir pour parler en vrai ^^ Quant à ses écrits, vas-y, fonce !

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  2. Une très belle interview, qui donne envie de découvrir cette auteure !

    Zela

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  3. Je seconde les opinions de mes deux précédents camarades! Une belle interview, avec des réponses très riches et intelligentes... En tant qu'auteur, on s'y retrouve en partie. Merci! :)

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